La méthode de fixation des loyers expliquée par son concepteur «L’IDÉEE N'ÉTAIT PAS DE CONTRÔLER LES LOYERS... C'EST LE CONTRAIRE QU'ON VISAIT»
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Les taux d’ajustements que la Régie du logement prévoit accorder aux propriétaires lors des fixations de loyer 2011 sont les plus bas en 30 ans d’histoire. L’économiste Claude Chapdelaine s’étonne des faibles taux publiés ces dernières années, au point de se demander si la méthode, celle qu’il a lui-même élaborée, n’a pas été changée au fil des ans.
Au milieu des années 70, le ministère de la Justice l’embauche comme consultant pour élaborer une méthode de calcul des loyers. En 1977, il est nommé vice-président de la Commission des loyers du Québec, puis il deviendra président du nouvel organisme qui la remplacera en 1980 : la Régie du logement.
En faveur du marché libre
Claude Chapdelaine allait, grâce à son expertise, être appelé à jouer un rôle déterminant sur la question des loyers. C’est d’ailleurs lui qui, aux débuts de la Régie du logement, donnait la formation économique aux avocats et aux tout premiers régisseurs.
«L’idée n’était pas de contrôler le marché ni les loyers. C’est le contraire qu’on visait. Moi, j’ai toujours parlé de marché libre. Le marché libre fonctionne, il n’y a pas de contrainte majeure. Toutefois, si un propriétaire se sert du marché libre pour évincer un locataire, là on intervient puis on fixe un loyer avec une augmentation qui nous semble raisonnable. Nous voulions aussi que cette augmentation favorise l’amélioration du stock de logements – pas simplement son entretien – et qu’elle n’entrave pas la construction neuve, donc le renouvellement du stock.»
Ces principes ont été clairement édictés en 1977 dans le Livre blanc sur les relations entre les locateurs et les locataires, rédigé par Claude Chapdelaine et Me Louise Robert. Le document a servi de fondement à la création de la Régie du logement que tous deux avaient le mandat de mettre en place (Me Robert étant en charge du volet juridique).
Cependant, trois décennies plus tard, le gouvernement du Québec en est rendu à une tout autre interprétation. En effet, en 2006, quand la CORPIQ s’est adressée à la Cour supérieure pour empêcher la Régie du logement de publier des estimations de hausses de loyer, le Procureur général du Québec (l’État) déclarait en défense que la Régie devait «mettre en oeuvre les politiques sociales et économiques tracées par l’État, dont le contrôle du coût des loyers».
Claude Chapdelaine n’aime pas le mot contrôle : «C’est la terminologie utilisée et je déteste ça, car ce n’est pas un contrôle. Il y avait un argument économique : compenser l’immobilité relative du locataire, une imperfection du marché libre. On laisse fonctionner le marché, mais s’il y a un abus, le locataire peut venir contester et on voit si on peut corriger l’abus. Il y a eu de grosses discussions à l’époque là-dessus. L’approche laissait les locataires et les propriétaires discuter entre eux. C’est sûr que certains voulaient un contrôle rigide. Ça aurait été un désastre.»
Selon le premier président de la Régie du logement, le défi était de trouver un moyen de contrôler les augmentations de loyer sans nuire au fonctionnement et au développement du marché. L’objectif du ministère de l’Habitation de l’époque (où il sera plus tard nommé sous-ministre) était d’assurer un bon stock de logements à prix abordable. «C’est facile à dire quand le bon stock de logements ce n’est pas toi qui le fais, les prix non plus…»
Méthode inattaquable, mais critères à revoir?
Son concepteur rappelle que la méthode de calcul des loyers, élaborée à la suite de nombreuses consultations, comporte trois composantes à ajuster : les dépenses courantes, les travaux majeurs, ainsi que le revenu net de l’immeuble. «Maintes fois réexaminée, la méthode en tant que telle n’a jamais été contestée, soutient-il fièrement. Ce qui est contesté, ce sont les critères qui donnent une augmentation trop faible. On a deux problèmes : le taux de rendement des améliorations majeures, puis l’indexation du revenu net.»
Selon lui, le rendement aujourd’hui faible des certificats de placement garanti n’est peut-être plus le bon étalon sur lequel se baser pour établir le taux d’amortissement des travaux majeurs accordés aux propriétaires : «il y a eu des années où les taux d’intérêt étaient à 22 %. Depuis, des récessions sont survenues et les modes de placement ont changé. Un bon indicateur, pense-t-il, serait basé sur une moyenne mobile pondérée et serait composé de plusieurs choses, comme c’est le cas de l’indice boursier TSX, et non pas reposé sur un unique mode de placement tel le CPG.»
Ceci étant dit, un argument que sert M. Chapdelaine aux propriétaires est qu’ils obtiennent un ajustement à vie sur leurs dépenses en travaux majeurs. En effet, le loyer augmenté perdure après la période d’amortissement. En contrepartie, le propriétaire assume le risque d’avoir un logement vacant. «Je voyais la méthode de fixation des loyers comme un moyen d’inciter les propriétaires à entretenir les logements. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi.»
Concernant l’indexation du revenu net (pour payer l’hypothèque et préserver le rendement de l’immeuble), Claude Chapdelaine croit qu’il faut aussi bonifier le taux accordé aux propriétaires pour cette composante du loyer afin qu’il soit davantage connecté, d’une manière quelconque, à la hausse des coûts du logement neuf. Sinon, le logement existant exerce une concurrence qui décourage la construction neuve. Encore là, un indicateur sous forme de moyenne mobile pondérée serait à considérer, croit-il, car cela éviterait les variations brusques de loyer. «Il faut trouver le juste équilibre, car inversement, les immeubles existants aident à freiner les variations de loyer trop raides des nouveaux logements.»
Chose certaine, l’actuel ajustement du revenu net en fonction de l’évolution des loyers n’est pas adéquat. «On tourne en rond. J’aimerais bien savoir qui a sorti ça, l’indexation basée sur les prix des loyers!» Il rappelle ce principe de base : «La valeur d’un édifice à revenus dépend des revenus qu’il génère. Il faut donc s’assurer une augmentation de revenus à plus long terme. Je ne parle pas ici du revenu qui couvre les dépenses, mais bien du profit net du propriétaire.»
De l’avis de M. Chapdelaine, les augmentations de loyer ne devraient pas reposer sur la méthode de calcul qu’il a élaborée, mais sur la discussion de bonne foi entre propriétaires et locataires. «Ça m’a toujours étonné. Les gens vont faire une guerre pour une augmentation de loyer de 5 $ par mois, donc 60 $ par année. Puis après, ils s’en vont au restaurant dépenser 100 $. C’est l’équivalent de deux augmentations de loyer avalées en quelques heures.»