Inspection obligatoire des façades et fixation de loyer DES POLITIQUES GOUVERNEMENTALES QUI MANQUENT DE COHÉRENCE
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Le gouvernement du Québec compte rendre obligatoire dès cette année l’inspection à tous les cinq ans des façades d’immeubles et des stationnements à étages, aux frais de leur propriétaire.
Le 2 décembre, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à cet effet le projet de loi 122, présenté par la ministre du Travail, Lise Thériault. Il pave la voie à l’adoption d’un règlement d’application qui a déjà été rédigé par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), sans toutefois que la version actuelle soit coulée dans le béton.
La RBQ travaillait sur un nouveau cadre de référence pour les municipalités en matière de sécurité publique, lorsque deux événements tragiques survenus à Montréal ont précipité les choses : l’effondrement en 2008 d’un stationnement à étages d’un immeuble multilogements, puis la chute d’une dalle de béton du 24e étage d’un hôtel, en 2009. Dans les deux cas, une personne y a laissé sa vie.
Les enquêtes du coroner ont conduit à ces conclusions : une mauvaise fabrication des structures, suivie d’un manque d’entretien, ainsi que l’absence d’inspections périodiques.
Le gouvernement du Québec, sans attendre les rapports du coroner, a décidé d’ajouter au Code de sécurité un chapitre sur les façades et sur l’entretien des bâtiments. Un comité de travail a été formé par la RBQ pour élaborer la réglementation. La CORPIQ a fait valoir son désaccord avec le niveau de réglementation envisagé, tout en questionnant l’impartialité de la démarche.
Au printemps 2010, trois projets de règlement ont été présentés par la RBQ aux membres du comité : sur l’inspection obligatoire des façades, des stationnements à étages et des tunnels piétonniers.
Inspection aux frais du propriétaire
Concernant l’inspection des façades des immeubles, le projet de règlement vise tant les immeubles à logements, les immeubles commerciaux que les édifices publics. Il est d’ailleurs étonnant de constater que le logement locatif se voit attribuer le même statut qu’un édifice public qui pourtant opère dans une réalité économique et sécuritaire complètement différente. L’inspection, aux frais de leur propriétaire, aurait lieu tous les cinq ans et nécessiterait l’embauche soit d’un ingénieur, soit d’un architecte. Par façades, on entend tout revêtement extérieur incluant les murs et leurs accessoires, ce qui comprendrait les balcons, corniches, cheminées, boîtes à fleurs, climatiseurs, etc.
Les méthodes d’inspection requises seraient déterminées par l’inspecteur qualifié, ce qui laisse présager un large spectre de coûts pour le propriétaire. L’ingénieur ou architecte attesterait ensuite que la façade est soit sécuritaire, sécuritaire avec réparations ou non sécuritaire. De plus, le propriétaire de l’immeuble aurait à tenir à jour un programme d’entretien préventif, sous peine de sanctions.
La CORPIQ, seule à défendre les propriétaires
Lors des rencontres du comité de travail, la CORPIQ a rapidement exprimé ses objections au projet de règlement sur les façades. Non parce que la sécurité du public ne soit pas une priorité pour les propriétaires (la CORPIQ offre d’ailleurs une formation sur l’entretien d’un immeuble), mais les objectifs et l’approche du gouvernement, selon elle, manquent totalement de cohérence.
Premièrement, le gouvernement cherche à accroître la sécurité, alors que rien n’a été fait pour freiner la détérioration du parc de logements et des conditions d’investissement pour l’entretenir, eu égard aux critères de fixation des loyers qualifiés de désuets par les experts.
Deuxièmement, on prive les propriétaires des moyens financiers d’assumer d’éventuelles responsabilités additionnelles, eu égard au contrôle des loyers.
Troisièmement, comment une obligation de faire inspecter et de tenir un registre serait-elle efficace contre ceux qui constituent le véritable risque, soit une petite minorité de propriétaires qui ne respectent déjà pas leurs obligations?
Finalement, le risque d’accident, qui existera toujours malgré les efforts des propriétaires ou un quelconque règlement, demeure marginal pour justifier l’ampleur des nouvelles contraintes prévues.
La CORPIQ n’a pas eu d’appui du groupe de travail où siégeaient... l’Ordre des ingénieurs, l’Ordre des architectes, le Bureau d’assurances du Canada, etc. D’autres organismes de propriétaires ou gestionnaires immobiliers (copropriétés, immeubles commerciaux, édifices gouvernementaux) participaient aux rencontres, mais contrairement aux propriétaires de logements locatifs, rien n’empêche leurs membres de transférer le coût d’inspection et de travaux aux locataires ou aux contribuables.
Un des ordres professionnels a recommandé que tous les immeubles sans exception soient assujettis. La CORPIQ a cependant obtenu que l’application soit limitée aux immeubles en hauteur, mais le nombre d’étages demeure à être établi. On parle d’assujettir ceux de 5 étages et plus. En conférence de presse, la ministre du Travail a même avancé 3 étages et plus. Le pire, selon la CORPIQ, est que les villes pourraient se doter de mesures encore plus strictes. Montréal a annoncé qu’elle le ferait.
Un minimum de cohérence est requis
Selon la CORPIQ, les politiques du gouvernement du Québec en matière d’entretien des immeubles sont absurdes et contradictoires. Alors que la ministre du Travail, Lise Thériault, s’apprête à instaurer de nouvelles normes d’inspection et d’entretien à la charge des propriétaires, son homologue des Affaires municipales, Laurent Lessard, ne leur en accorde pas les moyens financiers en décrétant dans la Gazette officielle du Québec les plus faibles taux d’ajustement de loyer de l’histoire pour les dépenses d’entretien et de rénovation.
Dans une lettre envoyée en septembre à la ministre du Travail et dont Laurent Lessard a obtenu copie, la CORPIQ rappelait que leur gouvernement n’avait fait aucun effort pour travailler en amont, donc favoriser les investissements privés pour sauvegarder le patrimoine bâti locatif :
• En 2003, un rapport commandé par la Régie du logement et resté sans suite concluait que l’actuelle méthode de fixation des loyers ne permettait pas aux propriétaires de maintenir la qualité du parc de logements.
• En 2008, la CORPIQ dénonçait qu’aucun ajustement de loyer supplémentaire n’était accordé aux propriétaires proactifs qui engageaient des dépenses d’entretien. Une situation absurde et grave qui se poursuit en 2011.
• En 2009, le gouvernement du Québec a exclu du Crédit d’impôt remboursable pour la rénovation et l’amélioration résidentielles la plupart des immeubles à logements.
Le projet de règlement pourrait voir le jour ce printemps. D’ici là, le gouvernement évalue les coûts. D’autres interventions de la CORPIQ auprès de la RBQ et des élus sont prévues.
Le député péquiste de Beauharnois, Guy Leclair, a déclaré à l’Assemblée nationale : « Je l'ai répété à plusieurs reprises lorsque j'en ai eu la chance dans ce projet de loi, la CORPIQ, qui exprime toujours son opposition face à ce projet, demande à être entendue. La ministre nous a assurés que lorsqu'on arrivera avec les réglementations spécifiques, elle entendra bien la CORPIQ. Alors, on ose espérer que la ministre saura les entendre et combler leurs demandes dans la mesure du possible. »