Projet de loi 37 : la CORPIQ en audience publique
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Jeudi dernier, 2 juin, a eu lieu une Commission sur l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale. En audience publique, la CORPIQ a ainsi présenté son point de vue face au Projet de loi 37 qui entend modifier la clause F en faisant passer de 5 ans à 3 ans la période non assujettie aux critères de fixation de loyer pour un bâtiment neuf; le projet de loi vise aussi à donner le droit de préemption aux municipalités de la province.
Le directeur général de la CORPIQ, Benoit Ste-Marie, a d’abord présenté la raison d’être de la clause F qui se veut d’être un contrepoids aux risques encourus par les constructeurs de bâtiments neufs locatifs. C’est un modèle d’affaires risqué puisque les revenus sont à prévoir dans les années à venir, contrairement à la vente de condos dont les sommes sont perçues avant même que l’occupant prenne possession de son unité. De plus, il faut prendre en considération les coûts d’opération : alors que dans un immeuble à condos ce sont les occupants qui gèrent le maintien de l’immeuble au fil des années et assumer les frais en conséquence, c’est le propriétaire d’un immeuble à logements qui doit assumer ce risque.
Cette période de 5 ans représente donc ce qu’on appelle dans le jargon du secteur de la construction immobilière, la période de stabilisation.
En passant à 3 ans, « il est absolument certain que les constructeurs vont devoir mettre un prix de location beaucoup plus élevé, au risque de ne pas avoir le temps de remplir [les unités locatives, NDLR], mais ils ne prendront pas le risque d’offrir un prix trop bas », affirme le directeur général de la CORPIQ. En réduisant les années, les hausses risquent d’être beaucoup plus fortes d’une année à l’autre.
Concernant le droit de préemption, il faut faire attention, car c’est un pouvoir donné aux municipalités qui peut être très pernicieux. La CORPIQ suggère que la mécanique derrière ce droit soit revisitée, car il pourrait faire en sorte de dévaluer des bâtiments, et que le droit que l’on donne aux villes soit encadré pour éviter des abus.
La ministre de l’Habitation Mme Laforest demande à M. Ste-Marie, comment les constructeurs font pour établir un prix de loyer. Avec un produit existant, c’est facile d’établir un prix, car on fait des comparaisons entre le même genre d’unité dans le même secteur. Pour un immeuble neuf de logements locatifs, il est trop difficile d’établir un prix précis avant la livraison des unités, contrairement à un immeuble à condos. Aussi, lorsqu’un promoteur immobilier livre des unités de condos, il est facile de calculer la rentabilité pour la vente de celles-ci puisque les besoins à long terme et les risques sont gérés par l’occupant dès qu’il en prend possession (à travers les frais de condos qui s’ajustent d’année en année).
À la question de savoir pourquoi le secteur locatif aurait subi des hausses drastiques depuis 2 ans, le directeur général de la CORPIQ répond que c’est un secteur qui n’est pas rentable, et la clause F devait permettre au départ (instauré par le législateur en 1980) d’être un incitatif pour favoriser la rentabilité d’un logement. Si on reprend les cas médiatisés de hausses de loyer jugées d’abusives, on fait rappeler que ces cas précis ont eu lieu dans des régions, et la plupart du temps, par des propriétaires inexpérimentés. La pandémie a aussi fait en sorte que certains endroits ayant un taux d’inoccupation relativement équilibré se sont mis à connaître une chute drastique avoisinant zéro pour cent. Un phénomène historiquement jamais vu au Québec.
M. Ste-Marie rappelle que la clause F n’est pas entièrement dépourvue d’encadrement légal : les propriétaires doivent présenter une augmentation de loyer similaire à tous les locataires afin de ne pas cibler une partie des locataires et qu’une trop forte augmentation ferait en sorte d’évincer un locataire en particulier. « On est devant un défi de construction au Québec, et pas seulement pour le secteur locatif, où il va falloir trouver le moyen de construire malgré toutes les conditions économiques défavorables [taux d’intérêt, hausse du coût des matériaux, rareté de la main d’œuvre, NDLR] », conclut-il dans son échange avec la ministre.
Le député de Viau se demande comment les membres de la CORPIQ entrevoient la modification de la clause F. Selon les témoignages reçus par des constructeurs, M. Ste-Marie affirme qu’il est difficile d’évaluer le prix d’un logement, car souvent, lors de la construction de projets immobiliers, le secteur est en constant changement pour quelques années, ce qui vient influencer le loyer. Les propriétaires affectés par la proposition de modifier la clause F sont bouleversés puisqu’elle représente une bouée de sauvetage dans un environnement agité depuis la pandémie. La clause F devrait rester telle quelle à 5 ans même si elle est perçue pour être un irritant auprès des locataires.
Lors de la prise de parole du député de Laurier-Dorion, M. Fontecilla, il exprime son inquiétude face à l’aspect qu’il juge d’arbitraire des augmentations de loyer. « Ce n’est pas arbitraire, les constructeurs doivent faire en sorte de rendre le bâtiment rentable rapidement, et de toute évidence, ils n’ont pas loué les logements assez chers [au départ, NDLR] », rétorque M. Ste-Marie. Le problème fondamental n’est pas le prix du loyer, qui de toute évidence réussit à garder des locataires en place, mais plutôt un problème de communication de la part de ces propriétaires qui ont défrayé les manchettes; n’ayant pas pris le soin de transmettre l’information adéquatement sur le fonctionnement de la clause F et d’augmentations de loyer à venir.
La députée de Gaspé quant à elle cherche à connaître le profil du propriétaire qui a recours à l’utilisation de la clause F. La réponse du directeur général de la CORPIQ est qu’il n’y a pas de profil type, il s’agit tout simplement de constructeurs qui veulent s’assurer que leur projet demeure rentable malgré tous les risques encourus. Et même s’il n’y a techniquement aucune limite d’augmentation de loyer, les constructeurs et propriétaires évitent des hausses drastiques afin de ne pas perdre leurs locataires.