Gel des taxes municipales, un vrai cadeau?
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Depuis quelques semaines, plusieurs grandes villes ont annoncé que la crise économique motivait leur décision de geler le compte de taxes de leurs citoyens pour 2021. Dans les faits, les villes n’ont pas d’émotions, elles ne font donc pas de cadeau. Elles n’ont que des intérêts.
Mentionnons d’abord que 2021 est une année électorale pour les administrations municipales. Rien de mieux qu’annoncer un gel du compte de taxes pour conserver l’appui des électeurs, ou même tenter de le regagner en faisant oublier trois ans de coupures de services, de hausses de taxes ou les deux en même temps.
Si cadeau il y a, il sera essentiellement payé par le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec (donc invariablement par les contribuables). Ce dernier annonçait le 13 octobre que 800 millions $ allaient être versés aux villes pour leur permettre de rééquilibrer les budgets 2020 mis à mal par la gestion de la pandémie et pour servir à préparer ceux de 2021. À elles seules, Montréal en obtiendra 263 millions $ (sur les 477 millions $ de la Communauté métropolitaine), Québec recevra 55 millions $ (sur les 68 millions $ pour la région de la Capitale-Nationale), Laval 42 millions $, Longueuil 27 millions $, etc. Le tout est calculé selon leur poids démographique et des impacts de la pandémie. À cela s’ajoute l’aide de 2,3 milliards $ déjà accordée pour les transports en commun qui ne génèrent plus de revenus ou presque, tout en demeurant en service.
Il y a autre chose à considérer. L’inflation au Québec n’est plus qu’à 0,7 %. Plusieurs administrations municipales – Montréal la première – « vendent » leurs budgets aux citoyens en leur faisant croire chaque année que la hausse de taxes suit l’inflation. C’est un subterfuge : elles utilisent le taux d’inflation prévu pour l’année à venir, alors que l’inflation réelle s’avère généralement moindre. Or, elles ne font pas ensuite de correction dans le budget suivant, comptant sur la faible mémoire des gens qui oublient leur compte de taxes après l’avoir payé. Cette stratégie a d’ailleurs été confirmée à la CORPIQ par un ex-élu membre du comité exécutif de la Ville de Montréal. C’est ainsi que, pour une métropole où le taux de variation des taxes évolue prétendument au rythme de l’inflation, selon ce qu’affirment ses administrations successives, les Montréalais paient plutôt pour des comptes de taxes qui progressent deux fois plus vite que l’inflation réelle.
Concrètement, le coût de la vie a augmenté de 4,6 % au Québec depuis trois ans (soit 1,7 % en 2018, 2,2 % en 2019 et 0,7 % en 2020 selon la tendance après huit mois). Depuis leur arrivée à la mairie de Montréal, l’administration de Valérie Plante et celle des arrondissements ont pourtant facturé en trois fois des augmentations de taxes totalisant 7,6 % (soit 3,3 % en 2018, 2,0 % en 2019 et 2,1 % en 2020). Même avec un gel pour 2021, la promesse de garder les taxes alignées sur l’inflation ne sera pas tenue.
Que penser d’une telle gestion des fonds publics municipaux? Sans l’aide d’urgence annoncée mardi par la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, la situation serait catastrophique.
Pelleter en avant
Dans un monde idéal, tous souhaiteraient une gestion plus serrée des finances publiques municipales, un maintien des services et des comptes de taxes gelés. Or, il y a un risque : celui qu’une année de gel de taxes soit suivie d’une hausse significative l’année d’après pour pallier le manque à gagner.
À un an des élections, les villes ne veulent pas faire bande à part des autres et l’annonce des gels de taxes par certaines d’entre elles ont un effet d’entraînement. Cependant, à Sherbrooke, qui trônait au sommet en 2020 avec une hausse de taxes salée de près de 6 %, la réflexion se poursuit quant à la possibilité de geler le compte de taxes en 2021. Cette ville recevra 16 millions $ du programme d’aide d’urgence fédéral-provincial. À Saguenay aussi on réfléchit pour 2021. Le compte de taxes y a cru de 2,3 % cette année).
Par contre, Gatineau, qui recevra une trentaine de millions $ en aide gouvernementale d’urgence, a déjà fait savoir qu’il n’était pas question de geler les comptes de taxes. Chaque année depuis une décennie, son administration augmente la facture des Gatinois de 2 à 3 %, soit nettement au-delà de l’inflation et de ce qu’on observe dans toute autre ville au Québec sur une longue période.
En gelant les comptes de taxes en ces temps difficiles, des villes espèrent sans doute que l’année 2021 sera financièrement meilleure pour les contribuables pour pelleter en avant une hausse plus significative en 2022, post-élections. L’économie sera-t-elle redressée d’ici là? Rien n’est moins sûr. Il faut donc considérer le fait que si un gel passe dans l’enthousiasme, une hausse importante refilée l’année suivante pourrait être encore plus difficile à avaler par les propriétaires et leurs locataires. Rappelons qu’en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer, une hausse de coûts (taxes, assurance, travaux) qui n’est pas transférée intégralement dans le loyer à la première occasion est ensuite perdue. Le locataire ne peut donc pas bénéficier d’un étalement, comme cela serait souhaitable pour tous.
Exemples de villes ayant annoncé leur intention de geler les comptes de taxes pour 2021
Longueuil
Laval
Québec
Repentigny
Montréal - centre
Montréal - arrondissement Verdun
Montréal - arrondissement Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles
Montréal - arrondissement Ahuntsic-Catierville
Brossard
La Prairie
Boisbriand