Entrevue avec la ministre Lise Thériault: une réforme en profondeur de la Régie du logement s’impose
Magazine Proprio
La CORPIQ a rencontré la ministre responsable de la Protection des consommateurs et de l’Habitation, Lise Thériault, dans son bureau de Québec. En cette période préélectorale, elle a abordé plusieurs sujets d’intérêt pour les propriétaires d’immeuble locatif, notamment la Régie du logement qui doit, reconnait-elle, faire l’objet d’une réforme en profondeur.
La ministre Lise Thériault et le chef de la rédaction de la CORPIQ, Maxime Labrie.
NDLR : Cette entrevue a été réalisée avant le dépôt du projet de loi 401, qui n'aura pas été adopté avant la fin des travaux parlementaires.
Q. C’est seulement la troisième fois depuis la création de la Régie du logement, le 1er octobre 1980, qu’il y a un ministre responsable de l’Habitation. Une telle fonction avait existé de 1980 à 1985, puis brièvement de 2002 à 2003, lors de la crise du logement. Pourquoi?
R. Ce sont des responsabilités qui ont été assumées, la majeure partie du temps, par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. Il avait donc cette responsabilité-là, mais nommément, ce n’était pas fréquent de l’indiquer dans les titres. Si le premier ministre a décidé de nommer une ministre responsable de l’Habitation, c’est parce qu’il y a des choses à faire, parce qu’il y a des questions sérieuses à régler. Tout le monde en convient. […] Depuis la création de la Régie du logement, il y a eu zéro changement, malgré toutes les nouvelles technologies qui permettent de changer les choses.
J’ai le privilège d’être aux premières loges pour faire des changements. Depuis que je suis arrivée, ça bouge pas mal, et on n’a pas terminé. J’essaie de faire tout ce que je peux pour que les choses avancent, indépendamment de la campagne électorale. Je sais aussi très bien que je n’ai pas le temps nécessaire pour effectuer une réforme en profondeur, qui peut demander des années.
J’ai été nommée en octobre 2017 dans ce ministère qui a la responsabilité de la Régie du logement, de la Régie du bâtiment, de l’Office de la protection du consommateur, de la Société d’habitation du Québec… Depuis que je suis en poste, j’ai fait adopter un projet de loi en matière de protection du consommateur et nous sommes dans la phase finale du projet de loi concernant les règles de la Régie du bâtiment pour donner suite aux recommandations de la Commission Charbonneau. Deux projets de loi omnibus ont aussi été déposés dernièrement : l’un est déjà bien avancé concernant la protection du consommateur et un autre touchant plusieurs sujets en habitation, en plus de la refonte du programme AccèsLogis… Donc, honnêtement, on ne peut pas avoir plus efficace sur le terrain que ce que je suis en train de faire.
En 2014, les causes en attente (37 098) à la Régie du logement représentaient la moitié des causes introduites (72 485). Le nombre total de causes introduites au tribunal a diminué par la suite, mais la proportion des causes en attente était encore la même en 2017. Qu’est-ce qui explique qu’il n’y ait pas d’amélioration?
Au 31 mars 2017, il y avait 33 222 demandes en attente. Au 28 février 2018, il y en avait 29 659. C’est une variation de -10,7 % en pas tout à fait un an. En fixation-révision de loyer, le nombre de causes en attente est passé de 4016 au 31 mars 2017 à 2114 le 28 février 2018, une variation de -47 %. En ce qui concerne les causes en attente pour non-paiement de loyer, il y en avait 6617 au 31 mars 2017, contre 6224 en février 2018. C’est donc une baisse de 5,9 %. Pour les causes civiles en attente, il y en avait 22 589 en mars 2017, contre 21 321 en février 2018, pour une baisse de -5,6 %.
Le nouveau président de la Régie du logement, Me Patrick Simard, a pris des engagements clairs auprès de la Vérificatrice générale du Québec, qui a déposé un rapport pour que la Régie améliore son efficacité. Quand je compare les chiffres entre le 31 mars 2017 et le 28 février 2018, je constate une variation à la baisse. Le projet-pilote visant à favoriser la conciliation entre les locateurs et les locataires fait une différence dans le nombre de litiges qui sont réglés.
Dans le dernier budget, le gouvernement a annoncé une somme de 500 M$ pour réformer le système de justice au Québec. La Régie du logement aura-t-elle sa part ?
Ma collègue la ministre de la Justice [Stéphanie Vallée] réfléchit présentement à la façon de réformer le système de justice, incluant les tribunaux administratifs comme la Régie du logement. On ne peut pas penser améliorer le système judiciaire en ne visant qu’un seul type de tribunal. Il faut regarder tous les tribunaux, et c’est sûr que la Régie du logement fera partie des priorités dans la deuxième phase de la réforme.
Dans tout ce qui se fait en ce moment pour réviser le système judiciaire, je dois tenir compte de la réflexion de mes collègues afin de déterminer qu’est-ce qui peut être intéressant et qui nous permettrait de revoir nos façons de faire.
En 2013-2014, le budget annuel de la Régie du logement était de 22 M$. En 2017-2018, le budget était aussi de 22 M$. En dollars courants, cela représente une baisse de 5 %. La Régie ne mériterait-elle pas mieux ?
Ça ne veut pas nécessairement dire quelque chose. Il peut, par exemple, y avoir eu des investissements dans le système informatique il y a trois ans, et ainsi faire en sorte que des postes vacants n’ont pas eu besoin d’être comblés. Ça ne veut pas dire qu’il y a eu des coupes. Est-ce qu’on est plus efficace qu’en 2014? Est-ce qu’on utilise davantage, par exemple, la visioconférence plutôt que de faire déplacer les juges partout sur le territoire? Chose que la Régie fait d’ailleurs, car les dépenses en déplacements et en chambres d’hôtel, compte tenu de la quantité de juges, sont assez importantes. Ce n’est pas parce que le budget n’augmente pas qu’on n’est pas plus efficace. Au contraire, je pense que les nouvelles technologies nous permettent d’être plus efficaces.
Vous avez annoncé un projet-pilote misant sur la conciliation pour régler les conflits entre locateurs et locataires, et ainsi réduire le nombre de causes introduites à la Régie du logement. Les statistiques démontrent toutefois que 61 % des causes introduites concernent le non-paiement de loyer, causes qui ne peuvent se régler par la conciliation. Pensez-vous vraiment que la conciliation aura un effet à la baisse significatif sur le nombre de causes introduites?
Il faudra d’abord analyser les résultats du projet-pilote. Régler des dossiers en passant par la conciliation libère du temps d’audience, ce qui permet de réduire les délais d’attente. Il faut se rappeler qu’il n’y a eu aucune modification à la Régie du logement depuis sa création. […] En 2016-2017, nous avons enregistré 87 demandes de conciliation. En 2017-2018, ce nombre est passé à 211 (demandes en non-paiement ou fixation de loyer exclues).
[…] Nous sommes mûrs pour une vraie réflexion au Québec. […] On s’en va en campagne électorale, et ce n’est pas le temps de faire une réflexion en été. On comprend tous cela. Si j’avais un an de plus devant moi, j’aurais probablement déjà convié tous les acteurs principaux. Nous avons des demandes des deux côtés : des locataires, concernant le droit au logement, et des propriétaires, qui ont aussi des demandes légitimes à leurs yeux. Moi, je suis entre les deux. Je me demande comment faire pour rendre tout le monde heureux. Je sais que c’est difficile, que ça peut sembler utopique. Pour l’instant, il n’y a personne d’heureux. Je ne suis pas une « faiseuse de miracles », mais je sais qu’on pourrait modifier des choses.
J’ai eu l’occasion de le dire, et je le pense sincèrement, je n’ai absolument aucune pitié pour le grand propriétaire d’un immeuble qui a des infiltrations d’eau, de la moisissure, des coquerelles ou dont les logements sont insalubres. Je n’ai aucune pitié non plus pour un locataire qui fout le bordel dans le logement, qui part avec les armoires, les portes, le bain, les lavabos… Je trouve cela épouvantable! Dans un cas comme dans l’autre, il y a des gens qui vont essayer de contourner les lois. Jamais je ne pourrai défendre un mauvais locataire, alors que je sais qu’il y a beaucoup de petits propriétaires qui ont acheté un duplex ou un triplex pour avoir un fonds de pension. Je suis d’ailleurs très sensible aux revendications des petits propriétaires, car dans ma circonscription d’Anjou–Louis-Riel (Montréal), il y en a beaucoup. Il y a beaucoup de propriétaires occupant des duplex ou des triplex. J’entends très bien leurs demandes. Mais il y a tellement de choses à faire en ce qui concerne l’accès à la propriété, l’entretien de notre parc immobilier…
Ne faudrait-il pas favoriser en amont la diminution du nombre de causes à la Régie du logement, notamment en autorisant le dépôt de garantie? D’ailleurs, selon un sondage réalisé par la CORPIQ auprès de 1400 propriétaires, une majorité d’entre eux n’iraient pas devant le tribunal pour un ou deux loyers impayés s’ils avaient la possibilité de conserver un dépôt équivalent à un mois.
Il faut que je prenne le temps de me « faire une tête » à ce sujet. Parce que je n’ai aucune idée de ce qui se fait ailleurs, dans les autres juridictions. Dans un monde idéal, tout le monde aurait dans son compte de banque l’argent nécessaire pour vivre pendant trois mois. Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Il y a certainement des causes qui ne devraient pas se rendre à la Régie du logement. Je pense notamment aux causes concernant les augmentations de loyer dans les résidences pour personnes âgées. Est-ce que le dépôt de garantie permettrait d’éviter des litiges devant la Régie? Honnêtement, je ne suis pas rendue là, ça ne fait pas assez longtemps que je suis en poste. Pour l’instant, mon souci en est un d’équilibre : j’ai l’obligation de rester en équilibre entre les propriétaires et les locataires. Il faut que j’évalue les intérêts des deux parties, et c’est ce que j’essaie de faire. C’est mon rôle en tant que législatrice.
Notre parc immobilier est vieillissant. Les critères actuels de fixation de loyer ne devraient-ils pas être revus à la hausse pour inciter les propriétaires à procéder à des rénovations ? Avec les critères actuels, un propriétaire qui décide de rénover un logement aura besoin de près de 42 ans pour récupérer la totalité de sa dépense.
Les critères de fixation de loyer devraient être revus, comme tout le reste. Les critères n’ont pas été revus depuis la création de la Régie du logement. Mais on ne peut pas juste revoir les critères de fixation de loyer. Il y a de nouveaux phénomènes à considérer. Dans les années 1970, la plupart des bâtisses étaient neuves. Aujourd’hui, nous avons un parc immobilier vieillissant. Il faut en prendre soin. C’est vrai pour les bâtisses qui appartiennent au gouvernement, sous la responsabilité de la Société de l’habitation du Québec, les coopératives, les HLM, mais c’est vrai aussi pour le parc immobilier en général. On ne peut pas juste revoir les critères de fixation de loyer, ce n’est pas assez. Il faut aussi revoir le mode de fonctionnement… Et cela demande une réflexion plus profonde. Il faut prendre le temps. […]
Parmi les questions sérieuses à régler, il y a le logement social. C’est un incontournable au Québec. On en a toujours développé et on va continuer de le faire. Il y a aussi la question des copropriétés. Les règles n’ont pas évolué depuis l’apparition des condos, notamment concernant les fonds de prévoyance, les responsabilités… Il y a des gens qui vivent en condos avec une mentalité de locataire. Ils ne veulent pas payer pour les rénovations. Si le fonds de prévoyance est à zéro, bonne chance pour revendre! Moi, j’ai deux condos; un à Québec, un à Anjou, où on a refait le toit, la brique, les balcons… On a tout refait! Mais notre fonds de prévoyance était à zéro, donc nous payons des cotisations spéciales. Pour mon condo à Québec, notre fonds de prévoyance est au maximum. La journée où je vais vouloir le vendre, je n’aurai pas de problème, car le fonds est bien garni.
Il faut aussi s’intéresser à la question de l’accès à la propriété. Des gens vendent leur propriété pour aller dans un condo ou dans de grandes résidences pour personnes âgées. Toutes les questions, y compris celles concernant les propriétaires d’immeuble locatif doivent être analysées. Il n’y a rien qui a été revu lors des 30, 40 dernières années. Le premier ministre a nommé une ministre responsable de l’Habitation pour identifier les bonnes priorités. Il y aura certainement des engagements électoraux à venir.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’un jour, si le propriétaire vend sa bâtisse, il fera du profit. Ce n’est pas péché de faire de l’argent, c’est même bien correct. Parce que cet argent-là, c’est le bas de laine ou le fonds de pension pour beaucoup d’entre eux. Mais je pense qu’il faut trouver des solutions pour que les propriétaires puissent rénover. […] Une propriété est le bien le plus précieux. C’est justement pour cela qu’il faut encadrer tout ce qui se fait en matière d’inspection de bâtiments. Ça touche tout le monde, autant les petits propriétaires résidents que ceux qui accèdent à la propriété. Il faut que le sceau des inspecteurs en bâtiment ait de la valeur afin que l’acheteur n’ait pas de surprise. Un logement qui a été bien entretenu, nonobstant ce que tu peux demander comme augmentation de loyer, c’est sûr qu’il a une plus-value.
Quand tu regardes les règles d’aujourd’hui, rien n’a évolué. Ni dans le fonctionnement de la Régie du logement ni dans les bases pour établir les critères de fixation de loyer. Certains pourraient aussi dire que rien n’a évolué en ce qui concerne les droits des locataires. Pour faire des changements, il faut que toutes les composantes en matière d’habitation soient prises en compte. Il faut avoir une vue d’ensemble.
Le Québec ne devrait-il pas se doter d’une politique qui permettrait d’avoir une vision globale et cohérente de l’habitation ?
Comme ministre responsable de l’Habitation, je suis en mode solutions. Je travaille avec le MAMOT (ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire), avec le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, pour la Régie du bâtiment, avec l’Office de la protection du consommateur et, pour les règles de copropriété, avec le ministère de la Justice. Je rapatrie des dossiers de partout pour être en mesure de créer un ensemble. Parce qu’on ne peut pas avoir de politique en habitation et en accession à la propriété sans être responsable de tous les dossiers. Tous les dossiers ont donc été rapatriés afin qu’on puisse se doter d’une politique de concert avec l’Occupation du territoire. Parce que les réalités sont différentes en ville et en région.
Avoir un ministère responsable de toutes les questions liées à l’Habitation contribue à coordonner le travail de tous les intervenants : le programme d’adaptation à domicile, le programme d’amélioration de l’efficacité énergétique, les normes de construction de la Régie du bâtiment… Il faut que tout le monde travaille ensemble. La Régie du logement, étant un tribunal administratif qui fonctionne en parallèle, doit aussi être en cohérence.
Ne devrait-on pas privilégier l’aide aux ménages plutôt que de financer la construction de logements sociaux et abordables ?
Je pense qu’il faut faire trois choses : continuer à développer des logements sociaux et abordables, parce que la population est vieillissante et que l’indexation des pensions ne suit pas nécessairement le coût de la vie. Dans les petits villages, par exemple, ça prend des logements sociaux et abordables pour permettre aux aînés de demeurer dans leur communauté. Il faut aussi pouvoir compter sur le programme de supplément au loyer pour le marché privé, notamment dans les endroits où le tissu urbain est complètement développé, où il est devenu très difficile de construire de nouveaux immeubles. Enfin, il faut favoriser l’accès à la propriété, afin de permettre à des gens ayant des revenus plus modestes, aux jeunes familles, de quitter leur appartement pour s’acheter une propriété.
Nous devons avoir une vision cohérente, qui se tient. Ça prend de tout : du logement social, des propriétaires locatifs et des incitatifs pour avoir accès à la propriété. Il faut un juste équilibre. Il faut s’assurer que ce que l’on construit réponde aux standards de demain, dans un contexte de société vieillissante.