Les enjeux sans frontière de la proptech
Magazine Proprio
La Proptech regroupe ces innovations technologiques, ces changements de réglementation, ces évolutions de l’économie collaborative et ces nouveaux modèles de financement.
Par Vincent Pavanello, Cofondateur Real Estech
Les promesses de la proptech
Les secteurs du logement et de la construction contribuent fortement aux PIBs des économies développées - entre 15 et 20% selon les pays. Pourtant ils font encore pâle figure en raison de leurs modèles archaïques, là où les secteurs bancaire, de l’assurance ou encore de la restauration sont salués pour leur intégration d’innovations de rupture. Dans le même temps, l’immobilier qui fait face à de considérables enjeux de rentabilité, se laisse lentement transformer par l’innovation sur l’ensemble de ses segments, de la construction à la gestion, en passant par le financement et les usages. En réalité, les changements viennent fortement de ceux de comportement des consommateurs.
La Proptech regroupe ainsi ces innovations technologiques, ces changements de réglementation, ces évolutions de l’économie collaborative et ces nouveaux modèles de financement. Plus qu’une succession de disruptions, il s’agit davantage de profondes transformations de plus en plus rapides sur une chaîne de valeur fragmentée. Professionnels qui repensent leurs métiers, particuliers et entreprises qui ne veulent plus consommer comme avant, nouveaux entrants qui surfent sur la vague des innovations technologiques, l’immobilier assume sa révolution technologique.
L’attrait des investisseurs et le regain des acteurs traditionnels
Il apparaît que l’innovation s’avère enfin rentable dans le secteur, ce qui n’avait pas été le cas ces dernières années. Il s’agit de l’arrivée à maturité d’activités qui ont eu besoin de temps pour se structurer, le temps d’être adoptées par les acteurs historiques, à l’instar des logiciels de chantiers qui viennent considérablement accélérer la coordination des travaux. Ces innovations aiguisent de plus en plus l'intérêt des investisseurs, ce qui a pour effet d’obliger les grandes entreprises traditionnelles du secteur à se doter de leurs propres structures internes consacrées aux questions d’innovations.
Conscients de la prime au premier, les poids lourds de l’investissement viennent injecter des capitaux pour accélérer l’innovation : Fifth Wall Ventures, JLL Spark ou encore Colliers PropTech Accelerator. Un tournant se joue, puisque l’immobilier représentait une part bien moindre des sommes investies dans les startup ces dernières années. Nouvelles technologies, donc nouveaux modèles commerciaux qui laissent de la place à de nouveaux concurrents. Mais aussi de nouvelles opportunités pour les acteurs traditionnels du secteur. Les propositions de valeur des startup, elles, viennent s'intégrer parfaitement aux demandes des acteurs historiques. Aussi les investissements se multiplient, à coup de gros billets, comme l’injection de 868 millions de dollars par SoftBank, via Vision Fund, dans Katerra qui intègre verticalement les phases de la construction d’un bâtiment.
C’est que l’apport des nouvelles technologies vient changer la donne, et les investisseurs se saisissent de l’opportunité pour capitaliser. Il reste toutefois compliqué de préciser les frontières de la Proptech. Aussi les chiffres varient quant aux montants investis. Unissu, une base de données sur plus de 6 000 entreprises de la Proptech, tenue par Eddie Holmes et James Dearsley, annonce un montant de 15 milliards de dollars en 2018, pour 898 opérations, sans inclure les opérateurs de bureaux ‘space as as service’ tels WeWork. Peut-être en raison des spéculations trop fluctuantes qui viennent entourer ce pan de l’industrie aux chiffres vertigineux.
En effet l’apport de la tech vient fixer les nouveaux fondements de la valeur immobilière??: l’accessibilité, l’accès à l’information ou encore la rareté. L’actif immobilier, communément associé à un revenu stable et sans forte corrélation avec la performance des autres actifs, perd ainsi sa valeur intrinsèque.
Récemment, ce sont les GAFA qui ont témoigné de leur intérêt croissant pour l’immobilier, puisque Facebook et Google ont promis d’investir respectivement 1 milliard de dollars dans le logement social dans la région de San Francisco, à l’heure d’une crise du logement de plus en plus visible.
Quel est le véritable apport de la technologie?
Finalement, c’est l’apport des nouvelles technologies qui permet de véritablement parler de Proptech, et non pas seulement d’agrégateurs d’innovations. Si l’on y regarde de plus près, les services apportés n’ont pas vocation à faire disparaître le professionnel, sinon à proposer des nouveaux intermédiaires et outils. Certes les canaux d’acquisition se sont digitalisés, mais la chaîne de valeur échappe à une emprise totalitaire??: les modèles intégralement digitalisés sont marginaux. La question de la capacité à faire confiance à ces nouveaux intermédiaires, bardés de nouvelles technologies, demeure. A vrai dire, la pendule de l’ajustement réside encore et toujours, à l’instar des autres secteurs bouleversés par les nouvelles technologies, dans les besoins des clients : transparence sur les prix, personnalisation et immédiateté.
Si l’on s’intéresse de plus près à la tech, trois innovations majeures apparaissent. D’abord les solutions de logiciels. Elles viennent assister les professionnels pour se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée. La startup américaine de courtage Compass mobilise un réseau de plus de 2000 agents immobiliers et de mandataires à l’aide de la mobilité et de la data. Preuve s’il en est que les métiers ne sont pas tous voués à disparaître, sinon à repenser leurs compétences. Ensuite les algorithmes au service de traitement de la donnée. Les offres de lisibilité des nombreuses données du foncier et du bâti possèdent une forte valeur ajoutée. Cela permet aux gestionnaires de bâtiment d’anticiper de nombreux problèmes de panne et de s’ajuster plus facilement aux normes, voire d’en établir des plus pertinentes. Pour aider les gestionnaires à réduire leurs dépenses d'exploitation, par exemple, Enertiv installe des capteurs pour suivre les performances des ascenseurs, chaudières et autres équipements. Le système peut même attribuer des notes de performance et faire des recommandations de maintenance. Enfin, l’automatisation au sens large de tâches procédurières, puisque normes et réglementations pèsent énormément.
En ce qui concerne les technologies dont on parle davantage comme les drones ou l’IA, elles sont à ce stade trop peu abouties pour parler de véritable rupture. L’IA tient cependant quelques promesses pour le generative design ou l’évaluation des biens immobiliers. L’avenir nous en dira plus.
> Un article paru dans le magazine Proprio #52